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LES ÉDITIONS ACFA - "AU SUD D'EDEN" DE J.ROTILY
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Montage photo © Jocelyne Rotily

CHAPITRE DÉCOUVERTE : AU SUD D'EDEN,DES AMÉRICAINS DANS LE SUD DE LA FRANCE

DE JOCELYNE ROTILY (Février 2006)

image 1ere de couverture Au Sud d'Eden

Extrait de :

Quand le Sud devient terre de refuge et lieu de transit

Dans le courant du vingtième siècle, le Sud de la France deviendra à deux reprises terre de refuge et zone de transit pour un grand nombre d'artistes et écrivains ; il en sera ainsi pendant la guerre de 14-18, et enfin et surtout au cours de la Seconde Guerre mondiale. Divers éléments font du Sud un territoire privilégié et idéal : sa position géographique (notamment sa proximité des frontières espagnole et italienne), et la présence même de la Méditerranée. “ Point de marée sensible, ou qui, sensible, ne soit peu à peu négligeable. Un ciel qui rarement reste longtemps voilé, circonstance heureuse pour la navigation[1] ”, dira Paul Valéry à propos de la Méditerranée. En temps de guerre, des villes portuaires comme Bordeaux ou Marseille sont de formidables promesses d’évasion vers les territoires en paix.


Déjà en 1914

Dans un article publié dans l’Europe nouvelle du 6 avril 1918, Apollinaire parle d’un véritable exode de peintres non-mobilisés qui s’organise vers le Sud de la France : « Les peintres de la jeune école qui ne sont pas ou ne sont plus mobilisés semblent préférer le Midi à Paris bombardé. C’est ainsi que Matisse est à Nice, que Kisling est sur les bords de la Méditerranée auprès d’Iribe et de Signac. Juan Gris, Ortiz de Zarate, Modigliani, Van Dongen, Georges Braque quittent aussi la capitale pour la campagne d’Avignon ». L’essentiel de la communauté américaine a choisi de repartir en Amérique. Tel est le cas du peintre Stanton Macdonald-Wright qui a fui vers Londres avant de rentrer définitivement aux Etats-Unis.Mais, il en est d’autres qui à l’instar des artistes cités par Apollinaire, ont préféré rester en France et se replier dans le Midi, en attendant la fin des hostilités. Mary Cassatt, peintre impressionniste, amie de Degas, devenue célèbre dans l’art du portrait féminin, abandonne son château de Beaufresne menacé par les tirs ennemis ; elle se replie dans sa propriété de Grasse où elle demeurera jusqu’en 1918[2].

Loin du front et des assauts de l’ennemi, la vie suit presque imperturbablement son cours. Les difficultés de ravitaillement sont moindres. On en oublierait presque qu’une guerre acharnée et meurtrière déchire le pays. Le peintre Morgan Russell ne quitte pas tout de suite Paris où il vit et travaille depuis plusieurs années maintenant. Il y passe l’hiver de 1914-1915 le temps de voir les premiers Zeppelin survoler la capitale plongée désormais dans la désolation. “ Depuis hier ”, écrit Russell, on a dû éteindre toutes les lumières de la ville. Les Parisiens, comme les Londoniens ont pris peur devant l’arrivée des Zeppelin. Les rues de Paris paraissent à présent lugubres. Tragique. La nuit tombée[3], devant la gare, Montparnasse est pareille à une route sombre et solitaire. ” La rigueur de l’hiver et la pénurie de charbon l’ont finalement décidé à s’éloigner de Paris pour se réfugier dans le Sud de la France, au Cannet, non loin de la maison de son ami Blaise Cendrars. Durant cette période, Russell ne retournera qu’une seule fois aux Etats-Unis, en 1916, pour la durée d’un mois, le temps de participer à l’Exposition du Forum de New York. L’exposition terminée, il repart aussitôt pour la France, de crainte de retrouver son atelier détruit par la guerre. Il ne se fait guère d’illusion sur la suite des événements ; il est convaincu que la guerre sera longue et acharnée. Quelques jours avant le début des hostilités, il écrit : “ Si la guerre a lieu, ce ne sera pas, comme beaucoup le pensent, l’affaire de quelques mois ; il ne faut pas s’attendre à une victoire rapide : au coup suprême, par exemple, de la France et de l’Angleterre (à supposer qu’elle rentre en guerre…) La résistance sera tenace[4]

”En ces heures de conflit, le soleil et la lumière qui ont toujours été au cœur de sa création, sont les meilleurs antidotes contre l’angoisse. Dans un poème qu’il intitule en français Une Sonorité sur 1914-1915, Russell évoque le rugissement fracassant des monstres de fer crachant le feu sur la terre de France. Lorsqu’un peu plus loin, il décrit au “ delà des montagnes saillantes ”, un “ Eden ” baigné de soleil et de bonheur où “ la terre est travaillée par des hommes à la peau tannée[5]”, l’on devine que son exode vers le Sud est en grande partie motivé par la quête d’un “ Eden ” où il pourrait, selon lui, aborder sous un angle nouveau son travail sur la forme et la couleur.En 1917, il est donc au Cannet. L’année d’après, on le retrouve à Nice où il demeure jusqu’en 1919. Il y rencontre fréquemment l’écrivain Blaise Cendrars et son autre ami, Amedeo Modigliani. Les deux artistes peignent respectivement leur portrait. Russell, artiste marginal, profondément isolé du milieu artistique parisien, (et encore plus du milieu américain), vit difficilement de la vente de ses oeuvres ; Cendrars l’aide occasionnellement à trouver un acquéreur en s’adressant, par exemple, au marchand Léopold Zborowski. Ce dernier, “ pris de trouille (devant les événements) ”, raconte Cendrars, a rejoint, lui aussi le Midi. Il est à Cagnes, à quelques kilomètres seulement du nouveau domicile élu par Russell. Avec son habituelle vitalité, Cendrars exhorte son ami américain à poursuivre son travail dans le sens de l’innovation, convaincu que l’après-guerre donnera raison aux “ nouveaux ”. Des nouveaux, écrit-il, “ je persiste à croire qu’il y a en a ! Il y aura aussi des revues qui publieront les “ on dit ” et les “ échos ”. Tout ce qui paraît maintenant ne compte pas (…) Quant à nous, travaillons et préparons quelque chose d’important et d’énorme[6] ”. Russell pense lui aussi à l’après-guerre, à cette nouvelle voie dans laquelle l’art devra par force s’engager. Mais quelle direction suivre ? En Europe, l’avènement de la guerre a mis un frein aux recherches des avant-gardes. Les partisans de l’abstraction reviennent vers les principes plus rassurants de l’art figuratif. Russell n’échappe pas non plus à ces questionnements ; il ressent la nécessité d’interrompre son travail sur les “ synchromies abstraites ”, le temps d’y voir plus clair, et de reprendre son assise.

Son séjour dans le Sud et son immersion dans la lumière et les paysages méditerranéens devraient justement lui permettre de faire le point sur son œuvre et de repartir sur des bases nouvelles. Ces questionnements sur l’avenir de son art sont d’ailleurs au centre des carnets de notes qu’il rédige durant sa retraite dans le Midi. Les termes qui reviennent le plus souvent sont : “ puissance ”, “ héroïsme ” et “ simplicité ” formelle. On y découvre un artiste qui se dope au travail, comme si l’activité créatrice constituait l’ultime rempart à la folie meurtrière des hommes, et l’une des dernières grandes manifestations de l’héroïsme. Il s’efforce de pousser l’étude du nu vers une “ puissance héroïque ”, et envisage curieusement la création d’une nouvelle forme artistique qui associerait la puissance héroïque d’un Michel-Ange à la majesté de l’art chinois ancien devenu l’une de ses grandes passions. Il cherche aussi de nouvelles forces du côté des primitifs italiens, de Masaccio tout particulièrement. Car Masaccio a toujours fait dans le volume solide, dans la puissance sculpturale. “ La peinture moderne d’avant-guerre est foutue ”, écrit-il ; “ Il va falloir – la puissance, la simplicité – l’image et la maîtrise (…) Un soldat en casque – sa femme – son enfant – Masaccio – Notre style se formera des éléments de notre dessin simplement et largement rythmé, de notre vision sculpturale – et de notre coloris puissant et rare”. C’est la guerre elle-même qui conduit l’homme vers la simplicité, et vers des notions primordiales.

© Jocelyne Rotily, Les Editions ACFA

NOTES DE BAS DE PAGE

[1] . Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais, Paris, 1945, pp. 271-272.

[2] . Cf. Journal du marchand d’art René Gimpel, en date du 20 mars 1918. René Gimpel Diaries. Microfilm 415. Archives of American Art. Washington D.C.

[3] . Lettre de Russell adressée à son ami le peintre Andrew Dasburg. Le 20 janvier 1915. Fonds Andrew Dasburg, Washburn Gallery, New York.

[4] . Extrait de texte tiré de : Carnet de notes 15, vers 1914. Fonds Morgan Russell, Montclair Art Museum. Montclair, New Jersey.

[5] . Ce poème de Morgan Russel intitulé Une sonorité sur 1914-1915 est conservé dans le fonds Morgan Russell. Il est extrait de son carnet de notes (1914-1939) Archives of American Art. Washington D.C.

[6] . Lettre de Blaise Cendrars écrite sans conteste pendant la guerre de 14-18 mais qui ne porte pas de date précise. Archives of American Art. Fonds Morgan Russell.

    ISBN : 2-9524259-0-6. 25 € TTC. 244 pages. Format 16 x 24 cm. 24 illustrations couleur et noir et blanc.

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