CHAPITRE DÉCOUVERTE
NAPOLÉON ET MOI ! JAMES MCNEILL WHISTLER EN CORSE, 1901 DE JOCELYNE ROTILY (Février 2008)
Extrait pp. 1-14
INTRODUCTION
En cet hiver 1901, l’illustre peintre américain, James McNeill Whistler, l’artiste adulé par Proust et Stéphane Mallarmé, quitte Londres pour se rendre en Corse. Il est âgé de 67 ans, a perdu son grand amour Beatrix, souffre de mélancolie et de problèmes de santé aggravés par le surmenage. Il ne lui reste plus que deux ans à vivre. Il l’ignore – préfère de toute façon l’ignorer - et s’entête à poursuivre son œuvre, avec la même exigence, et à voyager.
Toute sa vie durant, il a parcouru le monde.
Né aux États-Unis à Lowell, le 10 juillet 1834, James McNeill Whistler est presque aussitôt transbahuté en Russie où le père, le major James Abbott McNeill Whistler, travaille comme ingénieur au service de Nicolas 1er. La mère, une femme très puritaine dont le portrait appartient au Musée d’Orsay, s’appelle Anna Matilda McNeill. Le jeune James, qui montre très tôt des prédispositions pour l’art, étudie le dessin à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Vers 1848, il séjourne à Londres chez sa demi-sœur Deborah et son mari, Francis Seymour Haden, chirurgien et grand amateur d’eaux-fortes. C’est l’occasion pour James de découvrir sa merveilleuse collection d’eaux-fortes de Rembrandt. La mort précoce du père, qui survient en 1849, va mettre fin à l’expérience russe synonyme pour James de liberté et d’insouciance. L’adolescent, âgé de quinze ans, retourne en famille dans son pays de naissance où paradoxalement il ne reviendra plus après quelques années d’études à West Point qui se soldent en 1854 par un renvoi aux motifs suivants : indiscipline et médiocrité de ses notes en chimie. Grâce à ses relations de fils de bonne famille, il décroche un poste au Bureau des cartes marines de Washington. Mais, il s’y ennuie ferme et finit par rehausser ses cartes topographiques de motifs personnalisés, avant de démissionner. Il a tout de même eu le temps d’assimiler la technique de la gravure à l’eau-forte dans laquelle il excellera.
Le ton est donné : Whistler a l’humeur rebelle et belliqueuse. Dans sa vie privée, il a le don d’inspirer les inimitiés ; ceux qui résistent à son ironie et à son célèbre « cri strident » deviendront d’indéfectibles amis. Il en va de même dans sa carrière artistique où, même au sommet de la gloire, il prend presque un malin plaisir à être « l’homme par qui le scandale arrive », et à fustiger ceux qui sont réfractaires à son « système » et le traitent de « faquin » des arts. Le nombre de procès artistiques et autres intentés par Whistler est considérable et si le métier « d’intenteur de procès » existait, Whistler en serait le plus brillant exemple. Nul doute que son esprit procédurier ait participé à la promotion de son œuvre.
« Installé » à Paris, en 1855, où il est bien décidé à faire de l’art sa carrière, il suit quelque temps des cours de peinture dans l’atelier du très académique Charles Gleyre, et continue à mener une existence de bohème. En 1859, il part à Londres mais ne rompt pas pour autant ses liens avec Paris. Ses va-et-vient entre les deux capitales vont être constants jusqu’à la fin de sa carrière.
Admiré par Courbet en 1859 alors qu’il expose sa première grande toile Au piano, et défendu par Baudelaire qui voit dans ses eaux-fortes de la Tamise l’expression d’une « poésie profonde », James gagne rapidement la reconnaissance de l’avant-garde parisienne et rejoint, sans surprise, le groupe du « Salon des refusés ». Il y fait une première apparition sensationnelle, en 1863, avec sa Fille blanche. Ce portrait tout en blanc de Jo Hiffernan désarçonne les critiques qui s’ingénient à percer au jour le sujet du tableau au lieu d’appréhender l’œuvre comme une étude sur la couleur blanche. James tente en vain d’expliquer sa démarche purement esthétique par ces mots : « Le tableau représente simplement une jeune femme habillée en blanc debout devant un rideau blanc ».
Autre polémique, et autre révolution artistique dans les années 1870, à l’occasion de l’exposition de ses peintures de vues nocturnes de Cremorne Gardens à Londres. Ce sont de véritables « délires visuels » à la frontière de l’art abstrait qui lui valent les attaques de John Ruskin, historien d’art anglais de renommée internationale que personne n’aurait osé contre-attaquer, si ce n’est Whistler. En 1878, James lui fait un procès pour diffamation, procès retentissant qui pose la question de la définition de l’œuvre d’art et fait de Whistler un artiste de la modernité. Ses peintures inspirées de l’art japonais sont de subtiles et délicates recherches d’harmonies. Elles sont l’œuvre d’un artiste génial qui, comme Mallarmé le pensait, avait l’art de métamorphoser des tissus en papillons et en fleurs. Lui-même ne s’était-il pas attribué l’image du papillon, symbole de la métamorphose ?
Mais parallèlement au Whistler, défenseur de « l’art pour l’art » et adepte d’une peinture préoccupée d’esthétisme et flirtant, dans le cas de La Fusée qui retombe (1875), avec l’abstraction, il y a le Whistler qui s’intéresse à des thèmes et scènes plus sombres à caractère social, et qui utilise alors plus volontiers la technique de l’eau-forte, avec une maîtrise du clair obscur et un sens de la dramaturgie qu’il doit beaucoup à son idole Rembrandt. La suite française gravée à Paris dans les années 1850 ainsi que les eaux-fortes réalisées dans les années 1880, relèvent de cette catégorie. Il en va de même pour les eaux-fortes et dessins de sa période corse.
Le Whistler qui arrive à Ajaccio est un artiste consacré. Ses premiers grands succès remontent à la fin des années 1880. En 1887, il participe à l’exposition internationale de peinture de la galerie Georges Petit à Paris. En 1889, il reçoit la médaille de 1ère classe à Munich, la médaille d’or à l’exposition internationale d’Amsterdam, et est nommé chevalier de la Légion d’honneur. En 1891, le musée du Luxembourg lui achète pour 4000 francs le portrait de sa mère, grâce aux soutiens de son ami Stéphane Mallarmé et de l’écrivain Théodore Duret. Cette reconnaissance officielle de la part d’un musée aussi prestigieux l’enorgueillit. Il savoure sa vengeance contre la Royal Academy de Londres qui n’a jamais voulu de lui ! Et juste un an avant son départ pour Ajaccio, il reçoit encore deux grands prix dans les catégories peinture et gravure, à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris.
Il n’est plus seulement la coqueluche de l’avant-garde parisienne, il est l’artiste et portraitiste que s’arrachent les nouveaux riches de l’Amérique de ce début du XXe siècle : Charles Lang Freer, Vanderbilt, Howard Mansfield, Henry Havemeyer, Mrs. Gardner... Sa correspondance depuis Ajaccio témoigne de ce succès américain grandissant en même temps que de sa rancœur contre le milieu de l’art anglais officiel. Disons même que son ressentiment envers les Anglais se renforce au contact de l’île de Napoléon et de la ville qui a vu le jour d’un des plus grands ennemis de l’Angleterre.
À Ajaccio, loin des routes habituelles, comme il se plaît à le souligner, James va réaliser une série de dessins, eaux-fortes, pastels et peintures d’une beauté profonde et « mélancolique ». Et ceci, malgré le mauvais temps exceptionnel qui frappe l’île, entre janvier et mai 1901, et malgré la fragilité de sa santé.
Comme Rembrandt a peint les ghettos juifs, leurs petites gens, Whistler a dessiné, gravé et peint à Ajaccio ses modestes pêcheurs, ses marchands, ses forgerons, ses bohémiens, ses femmes à l’enfant dans la tradition de la Madone à l’enfant. Avec la conviction que la beauté est dans « dans toutes les conditions, dans tous les temps ».
Vers la fin de sa carrière, certains critiques ont reproché à Whistler de s’appuyer sur Jimmy (faisant référence au jeune James). Lorsque, à l’occasion de l’exposition universelle de 1900 qui eut lieu à Paris, James dut faire face à ce reproche, il réagit tout de go avec la vivacité de répartie qui le caractérisait : « Toutes ces œuvres sont pourtant des chefs-d’œuvre ; il n’y a pas mieux, ni pire, l’œuvre a toujours progressé, elle a grandi, elle n’a pas changé, et les peintures d’aujourd’hui sont pleines de qualités qu’ils ne sont pas plus capables de comprendre aujourd’hui que la Fille blanche que je peignis à l’époque 1». Dans sa « suite corse », le vieux James prouve bien qu’il n’a rien perdu de son talent à révéler les âmes. Avec l’âge, sa sensibilité s’est aiguisée.
Napoléon et moi, James McNeill Whistler en Corse, biographie romancée construite sous la forme d’un journal, réunit pour la première fois en France l’œuvre corse de Whistler. Une œuvre, injustement négligée, et qui est aujourd’hui dispersée dans plusieurs collections étrangères publiques et privées : Hunterian Art Gallery à Glasgow ; Fogg Art Museum de Harvard University, Metropolitan Museum à New York ; Terra Foundation, etc.
© Jocelyne Rotily, Les Editions ACFA
SBN : 2-9524259-1-4
127 pages
24 illustrations noir et blanc et couleur
format 18,5 x 22,5 cm
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Quelques points de vente en France
En Corse, ce livre est en vente : à Ajaccio (chez La Marge et Album), à Bastia (chez Terra Nova, Librairie Papi Socopal, à Corte (Librairie de Flore, Maison de la Presse A. Valentini) et à Propriano (Librairie SARL Marine Presse).
A Marseille : Librairie Prado Paradis, L'Odeur du temps, Le Lièvre de Mars, Fondation Regards de Provence, Librairie Regards (Musée de la Vieille Charité), L'Histoire de l'oeil,
A Aix-en-Provence : Vents du Sud, ...
A Cassis : Le Préambule.
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